BENIN: Prisonniers à la naissance


BENIN

Prisonniers à  la naissance

Il existe des prisonniers d’un genre particulier dans les hôpitaux de référence du Bénin. Ce sont des enfants. Ces nouveau-nés sont souvent claquemurés par les responsables des hôpitaux pour contraindre leurs parents à payer les frais d’accouchement et de soins post natals.

PAR CHRISTOPHE ASSOGBA
 

Les quadruplets que dame Julienne Hounsa, 27 ans, vient de mettre au monde, ce samedi 29 septembre 2007, risquent de ne pas sortir de l’hôpital de zone d’Abomey-Calavi à  20 km de Cotonou. Pauvre et sans ressources lors de son évacuation d’urgence dans cet hôpital, elle n’a pas les moyens de payer les frais de kit de césarienne, d’intervention chirurgicale et de soins post natals qui s’élèvent à  plus de 100.000 francs CFA ( environ  150 euros. Tant qu’elle-même, son mari ou ses parents n’auront pas payé, ses  quatre bébés ne franchiront pas la porte de sortie de l’hôpital. Elle appelle alors à l’aide. Couchée sur son lit d’hôpital, elle intervient dans un reportage du journal télévisé de la Chaîne de télévision Canal 3 Bénin, avec une voix à peine audible : « Je supplie le Président de la République de venir à mon secours. Deux jours plus tard, le Chef de l’Etat béninois, Boni Yayi, conscient du fait que: «Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne» (Article 3 de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme),  lui rend visite à l’hôpital. Il donne des instructions fermes pour qu’on la laisse partir sans payer les frais liés à l’accouchement parce que : «La maternité et l'enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciales. Tous les enfants, qu'ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale» (Article 25 alinéa  2 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme) . Mais sur place, le Chef de l’Etat prend contact avec les réalités des choses.
Julienne Hounsa n’est pas la seule femme dans cette situation. Une vingtaine de bébés de moins de deux mois sont interdits de sortie pour non-payement par les parents des frais d’accouchement et kit de césarienne. La directrice de l’hôpital,  Arlette Wilson Gauthe, montre au chef de l’Etat un groupe de dix sept femmes et leurs bébés dans un logement à une cinquantaine de mètres de la maternité, non loin de la cuisine et des toilettes destinées aux gardes malades. Ce sont une demi-dizaine de salles, moyennement spacieuses et sans lit. Les mamans et les bébés sont installés sur de simples nattes parfois de fortune. Elles sont transférées dans ce bâtiment à la fin du temps réglementaire de suivie post natal afin de libérer les lits d’hospitalisation de la maternité, très insuffisants en nombre, pour d’autres patientes. L’économe de l’hôpital, chargé de la gestion des malades, Thomas Alofa, explique le phénomène : « Nous sommes dans un hôpital de référence et le nombre de femmes enceintes qui accouchent ici est à 75 % constitué de cas qui sont évacués par les centres de santés publics d’arrondissement ou des cliniques privées et qui nécessitent des interventions d’extrême urgence en bloc opératoire pour sauver à la fois  les bébés et leurs mamans. Mais il précise : « ces femmes viennent pour la plupart sans accompagnateur et sans moyen financier. Nous sommes obligés d’intervenir en préfinançant les kits de césarienne, l’intervention chirurgicale et les soins post natals. »

Mamans libres, bébés séquestrés. 
La gratuité des soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes annoncée par le gouvernement  n’est pas encore une réalité. Les centres de santé publics comme l’hôpital de zone d’Abomey-Calavi n’ont donc pas les moyens financiers de prendre en charge gratuitement les accouchements et les interventions césariennes. Les responsables de l’hôpital ont mis en place un système pour gérer ces cas difficiles. « Lorsque les femmes enceintes à terme nécessitant des interventions urgentes arrivent, nous remettons l’ordonnance médicale aux maris ou autres accompagnateurs à qui nous demandons d’aller acheter les médicaments. Pendant ce temps,  les interventions chirurgicales qui ne peuvent pas attendre commencent. D’habitude, les maris ou les accompagnateurs disparaissent et ne reviennent plus », déclare Thomas Alofa. Il ajoute : «Nous sommes obligés de garder les bébés en confisquant les carnets de naissance. Les mamans sont libres de leurs mouvements hors de l’hôpital, mais pas en compagnie de leurs bébés qui sont condamnés à y rester. Les maris et les parents peuvent leur rendre visite selon les horaires de visite officielles et leur apporter à manger».
Il s’agit d’une stratégie très efficace pour empêcher  que les mamans  fuient avec les bébés. Car chaque sortie de nouveau-né est subordonnée à la présentation du carnet de naissance à la guérite des hôpitaux. Cette mesure ne dépasse pas souvent deux mois. « Nous offrons des conditions de payement favorables aux maris ou aux parents des mamans. On leur propose de payer par tranches de sorte que nous récupérons une bonne partie du coût d’intervention chirurgicale et de kit de césarienne. Quand ils parviennent à payer les deux tiers ou les trois quarts, selon les cas, nous leur faisons signer un engagement et les mamans rentrent avec leurs bébés. Malheureusement, très peu d’engagements sont honorés », regrette le comptable de l’hôpital, Appolinaire Hounkpè. En fait l’objectif de l’hôpital en adoptant cette stratégie est de récupérer une partie des dépenses afin de s’approvisionner en matériels pour intervenir pour des cas pareils qui viennent presque tous les jours. Cette situation n’est pas spécifique à l’hôpital de zone d’Abomey-Calavi. En 2005, une trentaine de bébés avaient été empêchés de sortir et bloqués avec leurs mamans dans les mêmes conditions à l’Hôpital de la mère et de l’enfant Lagune (Homel), le plus grand centre de santé en matière de santé maternelle et infantile au Bénin. Des ONG (Organisation non Gouvernementale)  sont intervenues pour lancer une opération de collecte de fonds très médiatisée pour les libérer. 
Cependant certains bébés et leurs mamans sont parfois libérés au bout de deux mois sans rien payer. Ce sont les indigents. « Pour bénéficier des faveurs du fonds des indigents, il faut une enquête préalable de l’assistant social. Cela dure d’habitude entre un ou deux mois. Quand on remonte au lieu de provenance de la maman et qu’on se rend compte qu’elle est très pauvre ou que c’est une veuve ou une femme abandonnée qui est extrêmement pauvre, on la laisse partir avec son bébé sans rien payer. On récupère alors auprès du trésor public dans le fonds destiné aux indigents, mais c’est souvent après une très longue procédure », explique Appolinaire Hounkpè. 

«Je n’ai pas envie de retourner chez moi»
Malgré tout, certaines femmes refusent de partir chez elles même quand on les autorise à rentrer avec leurs bébés. Le souci de celles-ci est le suivi de leurs bébés après leur départ de l’hôpital où elles bénéficient de nombreuses faveurs dans leurs conditions peu enviables. Les hôpitaux  ont  mis en place des  équipes qui assure une consultation chaque matin. Certaines mamans obtiennent des rations alimentaires. Certaines considèrent le logement où elles sont installées plus décent que leurs lieux de résidence. D’autres préfèrent y rester pour faire du petit commerce de bois de chauffage et autres produits de premières nécessités très  rentables. «Je n’ai pas de maison à Cotonou. On m’a évacué depuis le village et je n’ai pas pu payer les frais d’accouchement. Depuis un an, je vis dans cet hôpital, Homel, avec mon enfant et je vends des produits  pour les femmes enceintes. Je n’ai  pas envie de retourner chez moi», témoigne Rufine Sagbo. «Certaines femmes  nous demandent même d’obliger leurs maris à payer la totalité de la somme due. Cela leur permet de rester plus longtemps à l’hôpital »,  conclut Thomas Alofa.

 

 



14/09/2008
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