Impact du contrôle des médias par un régime politique sur l’investigation journalistique

Introduction
Longtemps considérés comme une référence  en Afrique en matière de la  liberté de presse, les médias béninois sont aujourd'hui sous le boisseau. Depuis avril 2006,  les velléités de contrôle des organes de presse par les nouvelles autorités politico-administratives du pays sont véritablement manifestes. Ainsi, s'est instaurés la technique de contrat de communication au profit des organes de presse, les arrestations et détentions préventives arbitraires de journalistes, les intimidations et pressions douces à l'endroit des professionnels des médias et la rétention d'information. Toutes ces mesures ne constituent-elles pas des  entraves graves à la liberté de presse et à l'investigation journalistique ? La diversité des tentatives d'embrigadement de la presse béninoise est telle qu'il est important qu'on y réfléchisse au moment où tout le monde s'accorde à reconnaître que les médias  africains doivent véritablement être des espaces de production d'articles ou d'émissions d'investigation.

 

I- Bref aperçu sur la presse béninoise

 La presse béninoise est marquée dans l'ensemble par  une grande vitalité. Cette vitalité se traduit par un nombre élevé des titres (1) côtoyant 67 stations de radios émettant  en FM et 6 chaînes de télévision dont  aucune ne couvrent l'ensemble du pays et par un contenu informationnel assez riche, diversifié et extraverti fait d'articles ou d'émissions d'investigation.  Derrière cette  vitalité se cache de nombreux problèmes : salaire dérisoire (2), irrégularité de leur paiement et parfois inexistence totale dans certaines rédactions, absence d'un statut social clair et inexistence d'un plan de carrière, manque  de formation des journalistes, disparité entre les sexes, corruption etc… Ces différents problèmes qui ne datent pas d'aujourd'hui dont certains subsistent encore sous le pouvoir actuel.
Avant la prise de pouvoir en avril 2006 par le Dr  Boni Yayi, la presse béninoise évoluait dans un état de grâce en raison du fait que de nombreuses décisions de justice n'étaient pas mises à exécution pour la simple raison que  l'ancien président Mathieu Kérékou, totalement indifférent face aux commentaires des journaux, avait décidé de ne mettre aucun journaliste en prison. Cet état de grâce était accompagné d'une production importante d'articles et d'émissions d'enquêtes qui  ont permis de révéler au grand jour de nombreuses malversations économiques et actes de corruption commise sous l'administration Kérékou. C'est par exemple le cas de l'affaire Titan dans laquelle le  nom de l'ancienne Première dame a été cité. On pourrait multiplier les exemples. 
 En général,  les journalistes se laissaient aller à quelques excès dans leurs analyses et commentaires sans être inquiétés de la moindre condamnation par les tribunaux. «Selon le juge Gervais Déguénon, de la Première Chambre Citation Directe du Tribunal de Première Instance de Cotonou, jusqu'en mars 2006, il y avait 148 décisions de condamnation avec mandat de dépôt non exécutées. Plus de 90% de ces décisions portaient sur des infractions de diffamation dont les journalistes et responsables d'organes de presse s'étaient rendus coupables à l'égard de particuliers, de ministres, d'hommes politiques etc » (4).

II- Les entraves à la liberté de presse sous Boni Yayi
C'est dans ce contexte de générosité des juges et de l'ancien chef d'Etat Mathieu Kérékou et des pressions de certains leaders politiques hostiles au pouvoir d'alors,  à l'endroit des journalistes qu'est intervenu en avril 2006 une rupture avec l'arrivée au pouvoir du Dr Boni Yayi. Celui-ci très féru de la communication et soucieux de son image décide de restaurer l'autorité de l'Etat et les différents actes qu'il a  posé dans le cadre de la restauration de l'autorité de l'Etat (4) et de la lutte contre la corruption ne manque pas de donner l'impression aux hommes des médias que l'état de grâce dont bénéficiait la presse en générale sous le pouvoir de Mathieu Kérékou est terminé et que s'ouvre désormais une ère de responsabilité où chacun doit répondre de ses actes. Cette impression semble être confirmée avec le mutisme des adversaires politiques du pouvoir et la satisfaction de organisations de la société civile (Osc). D'où la politique de communication offensive du pouvoir Yayi à travers une cellule de communication dynamique aux tâches bien définies composée de nombreux animateurs pour la plupart des conseillers techniques du chef de l'Etat. C'est cette cellule de communication qui est en amont et en aval des «contrats de communication» entre le gouvernement et les organes de presse. Une initiative considérée comme une première dans l'histoire politico-médiatique du Bénin en raison du nombre élevé d'organes de presse contractant et des ressources financières mobilisées. Avant d'aborder le contenu de ces contrats, il faut retenir que par contrat de communication, il faut entendre la collecte, le traitement et la diffusion d'information dans le but de soigner l'image d'une personne ou groupe de personne, d'une institution en des termes qui ne puissent pas porter atteinte à sa popularité et ses actions. En effet, le contenu de ces contrats de communication varie en fonction des organes de presse signataires (journaux, radios et télévisions) même si les objectifs reste les mêmes. Selon le ministre des Finances et de l'économie, M. Soulé Mana Lawani lors d'une conférence de presse en septembre 2008,  11 journaux pour la plupart des quotidiens  sur la pléthore qui existe sur le paysage médiatique béninois ont été retenus en raison de «leur meilleure audience» pour bénéficier des contrats dont le montant général à partager est fixé pour le moment à 85 millions le trimestre. De manière détaillée, le montant des contrats varie de 500.000  à 4.000.000 de francs Cfa selon les journaux et la durée est comprise entre six (06) et un (01) an. S'agissant des radios (commerciales, associatives, locales et confessionnelles), elles sont une bonne cinquantaine à avoir signées ces contrats de communication soit près de 74% de l'effectif.  Si les clauses sont globalement identiques, la durée de validité est d'un (01) an pour un montant de deux (02) millions de francs CFA. Du côté des chaînes de télévision, elle sont trois a signé  le contrat pour une durée de trois mois renouvelables et des montants variant entre 100.000.000 et 300.000.000 de francs CFA correspondant à l'équivalent de l'aide de l'Etat à la presse privée. En général, ces contrats  constituent un moyen pour le gouvernement de contrôler le contenu des journaux et des émissions. Ils constituent aussi la première entrave du gouvernement du Dr  Boni Yayi à la liberté de presse. La seconde atteinte est liée aux arrestations et détentions préventives arbitraires. La loi 97-01du 20 avril 1997 portant libéralisation de l'espace audiovisuelle et dispositions pénales spéciales relatives  aux délits de presse  en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin dispose que : «la détention préventive en matière de liberté de presse est interdite». Cependant,  d'avril 2006 à septembre 2008, des cas d'arrestations et de détentions préventives ont été enregistrés dans la presse béninoise. Entre autres journalistes interpellés et gardés à vue pendant des heures pour «diffamation et offense au chef de l'Etat» et publication d'articles mettant en cause des personnalités de l'Etat, il faut citer, Virgile Linkpon et Richard Couao-Zotti du quotidien La Diaspora de Sabbat et Cyrille Saïzonou du quotidien Djakpata. La troisième atteinte est liée aux violences  et voie de fait commis sur des professionnels des médias notamment sur le cadreur  de Golfe Tv Bernard  Oyékou lors d'un reportage à Ikpinlè, localité à environ 100 km à l'est de Cotonou et Wilfried W Houngbédji, ancien secrétaire de rédaction  sorti de la rédaction de La Nation, organe de service public à cause de ses analyses sur les actions du pouvoir, et affecté  au service de l'agence de communication de l'Office National d'Imprimerie et de Presse (ONIP). La quatrième entrave est relative aux pressions douces et autres intimidations sur des journalistes au sujet de certains articles publiés ou à publier. Enfin, la rétention de l'information et l'ignorance des textes régissant l'accès aux médias de service public constituent une autre atteinte à la liberté de presse de l'administration Yayi. Cette entrave constitue l'une des  conséquences sur l'investigation journalistique.

III- Impact du contrôle des médias sur l'investigation journalistique

Les impacts des entraves à la liberté de presse ou au contrôle des médias sont nombreux. Nous allons simplement relever ceux qui ont rapport à l'investigation journalistique. Comme nous l'avons souligné plus haut,  avant l'avènement du pouvoir actuel, les journalistes béninois publiaient beaucoup d'articles d'investigation. Mais avec le pouvoir actuel, force est de constater que les articles d'investigation ont presque disparu des journaux comme si les sujets d'enquêtes sont finis dans le pays. Quand on prend par exemple le secteur des véhicules d'occasion notamment l'escorte douanière, les médias se contentent simplement de relayer les informations fournis par le gouvernement et autres hommes politiques sur la question sans chercher à faire des enquêtes poussées pour comprendre ce dossier à la limite sulfureux qui fait toujours couler beaucoup d'encre et de salive au sein de la classe politique, des acteurs de la filière  et des populations. Dans ce dossier par exemple, on nous dit que les fonds sont logés dans un compte à la Bceao. Mais aucun article d'enquête n'a pu révéler à ce jour le numéro du compte dans lequel les sous sont déposés. On pourrait toujours multiplier les exemples pour montrer que les sujets d'enquêtes ne sont ce qu'il y a de plus rares actuellement au Bénin et que les journalistes ont certainement mordu à l'appât  de la montée en puissance de la communication institutionnelle et de la propagande politique et progouvernementale qui se manifeste à travers une mobilisation à outrance des médias pour couvrir les activités du chef de l'Etat et du gouvernement sur fond de corruption et d'argent. Du coup, il est difficile de distinguer dans les journaux et émissions, l'information du commentaire et l'information de la publicité au mépris des règles d'éthique et de déontologie. Ainsi, de nombreux journalistes dont les organes de presse sont sous contrat sont devenus simplement les «dealers» de productions des cellules de communication du pouvoir et des hommes politiques proches du pouvoir. A cela, il faut ajouter la rétention de l'information. C'est vrai qu'à ce jour il n'existe pas une loi d'accès à l'information. Or, sans sources d'information, il n'y a pas d'investigation journalistique. Malgré l'inexistence  de cette loi, les journalistes arrivaient quand même à avoir accès à des informations sensibles qui transparaissaient dans leurs enquêtes ou émissions. Mais pourquoi aujourd'hui, ce n'est plus le cas ? Pourquoi c'est devenu la croix et la bannière l'accès aux sources d'informations élémentaires ? C'est simplement à cause de la rétention d'information érigée en règle dans l'administration Yayi. Ainsi,  les journalistes sont bloqués dans leur travail de collecte, de traitement des informations. Cette difficulté majeure explique l'absence d'articles ou d'émissions  de fond, d'investigation ou d'enquêtes dans les journaux pour éclairer l'opinion publique sur les dossiers sensibles de la vie politique et socio-économique comme par le passé. Les journalistes ont aussi des difficultés pour arracher des informations aux hommes politiques érigés en adversaires du pouvoir qui font montre d'un  mutisme assimilé à de la rétention d'information. Et ce n'est pas tout : la crainte de perdre les contrats de communication font que des journalistes  évitent de se lancer dans des enquêtes qui au finish ne seront pas publiées ni diffusées dans leurs organes respectifs. De ce fait, les journalistes tombent dans l'autocensure. En somme, il faut dire que les médias béninois à travers leurs animateurs ont perdu leur rôle et leur crédibilité. Face à cette situation, il faut souligner que certains journaux comme L'Evénement Précis,  La Nouvelle Tribune,  La Presse du Jour  et la radio Capp Fm qui ont refusé de signer les contrats de communication parce que réduisant la liberté de l'organe et de ses journalistes adoptent une ligne éditoriale critique vis-à-vis du gouvernement à travers des articles et émissions d'investigation non sans relever les bonnes actions du pouvoir. L'Evénement Précis par exemple dans plusieurs de ses  parutions a publié  une série d'enquête  sur une affaire de corruption et de magouille   dans la passation d'un marché public au ministère de la Santé. On pourrait également multiplier les exemples avec La Nouvelle Tribune et La Presse du Jour.


Conclusion
Au vue de ce panorama national et en dépit des situations continentale et régionale,  il apparaît établi qu'il existe un lien de causalité entre contrôle des médias et investigation- les atteintes à la liberté de presse pouvant empêcher les journalistes de produire des articles d'enquêtes. Parallèlement au pluralisme politique, les médias béninois sous l'ère dite du changement, ne permettent presque plus l'éclosion de discours divergents, contradictoires, contestataires, revendicateurs. Il faut reconnaître aujourd'hui que les médias béninois sont à la solde et ne jouent plus toutes les fonctions qui leur reviendraient. C'est vrai qu'ils évoluent dans un réseau de contraintes notamment les difficultés économiques, les troubles politiques, les carences sociales, autant de failles et de dysfonctionnements qui n'excusent en rien les fautes professionnelles.

Notes
(1) Plus de 180 organes de presse toutes catégories confondues dont 80 quotidiens, 25 périodiques dénombré en Avril 2008 par la Haute autorité de l'audiovisuelle et de la communication (Haac)
(2) Les doits des journalistes des organes du service public sont plus ou moins garantis
(3) Rapport 2008 de ONG DHPD sur «Les médias à l'ère du changement», p.
(4) Le pouvoir du Dr Boni Yayi a procédé  à la révision forcée du cahier de charge des opérateurs GSM et infligé des sanctions à des cadres de l'administration non sans procédé à des limogeages de ministres.
(5) Rapport 2008 de ONG DHPD sur «Les médias à l'ère du changement», p. 10

¨Par Christophe D. ASSOGBA

Pour le compte du Sommet FAIR Johannesburg, 26 au 30 Octobre 2008

 



11/11/2008
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